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.Mais il arrivait qu'en dormant, l'intention du voyage renaissait en lui, sans qu'il se rappelât que ce voyageétait impossible et elle s'y réalisait.Un jour il rêva qu'il partait pour un an; penché à la portière du wagonvers un jeune homme qui sur le quai lui disait adieu en pleurant, Swann cherchait à le convaincre de partiravec lui.Le train s'ébranlant, l'anxiété le réveilla, il se rappela qu'il ne partait pas, qu'il verrait Odette cesoir-là, le lendemain et presque chaque jour.Alors encore tout ému de son rêve, il bénit les circonstancesparticulières qui le rendaient indépendant, grâce auxquelles il pouvait rester près d'Odette, et aussi réussir à ceDEUXIÈME PARTIE.UN AMOUR DE SWANN 174 Du Côté de Chez Swannqu'elle lui permît de la voir quelquefois; et, récapitulant tous ces avantages: sa situation, sa fortune, dontelle avait souvent trop besoin pour ne pas reculer devant une rupture (ayant même, disait-on, unearrière-pensée de se faire épouser par lui), cette amitié de M.de Charlus, qui à vrai dire ne lui avait jamaisfait obtenir grand'chose d'Odette, mais lui donnait la douceur de sentir qu'elle entendait parler de lui d'unemanière flatteuse par cet ami commun pour qui elle avait une si grande estime et jusqu'à son intelligenceenfin, qu'il employait tout entière à combiner chaque jour une intrigue nouvelle qui rendît sa présence sinonagréable, du moins nécessaire à Odette il songea à ce qu'il serait devenu si tout cela lui avait manqué, ilsongea que s'il avait été, comme tant d'autres, pauvre, humble, dénué, obligé d'accepter toute besogne, ou liéà des parents, à une épouse, il aurait pu être obligé de quitter Odette, que ce rêve dont l'effroi était encore siproche aurait pu être vrai, et il se dit: "On ne connaît pas son bonheur.On n'est jamais aussi malheureuxqu'on croit." Mais il compta que cette existence durait déjà depuis plusieurs années, que tout ce qu'il pouvaitespérer c'est qu'elle durât toujours, qu'il sacrifierait ses travaux, ses plaisirs, ses amis, finalement toute sa vieà l'attente quotidienne d'un rendez-vous qui ne pouvait rien lui apporter d'heureux, et il se demanda s'il ne setrompait pas, si ce qui avait favorisé sa liaison et en avait empêché la rupture n'avait pas desservi sa destinée,si l'événement désirable, ce n'aurait pas été celui dont il se réjouissait tant qu'il n'eût eu lieu qu'en rêve: sondépart; il se dit qu'on ne connaît pas son malheur, qu'on n'est jamais si heureux qu'on croit.Quelquefois il espérait qu'elle mourrait sans souffrances dans un accident, elle qui était dehors, dans les rues,sur les routes, du matin au soir.Et comme elle revenait saine et sauve, il admirait que le corps humain fût sisouple et si fort, qu'il pût continuellement tenir en échec, déjouer tous les périls qui l'environnent (et queSwann trouvait innombrables depuis que son secret désir les avait supputés), et permît ainsi aux êtres de selivrer chaque jour et à peu près impunément à leur Suvre de mensonge, à la poursuite du plaisir.Et Swannsentait bien près de son cSur ce Mahomet II dont il aimait le portrait par Bellini et qui, ayant senti qu'il étaitdevenu amoureux fou d'une de ses femmes la poignarda afin, dit naïvement son biographe vénitien, deretrouver sa liberté d'esprit.Puis il s'indignait de ne penser ainsi qu'à soi, et les souffrances qu'il avaitéprouvées lui semblaient ne mériter aucune pitié puisque lui-même faisait si bon marché de la vie d'Odette.Ne pouvant se séparer d'elle sans retour, du moins, s'il l'avait vue sans séparations, sa douleur aurait fini pars'apaiser et peut-être son amour par s'éteindre.Et du moment qu'elle ne voulait pas quitter Paris à jamais, ileût souhaité qu'elle ne le quittât jamais.Du moins comme il savait que la seule grande absence qu'elle faisaitétait tous les ans celle d'août et septembre, il avait le loisir plusieurs mois d'avance d'en dissoudre l'idée amèredans tout le Temps à venir qu'il portait en lui par anticipation et qui, composé de jours homogènes aux joursactuels, circulait transparent et froid en son esprit où il entretenait la tristesse, mais sans lui causer de tropvives souffrances.Mais cet avenir intérieur, ce fleuve, incolore, et libre, voici qu'une seule parole d'Odettevenait l'atteindre jusqu'en Swann et, comme un morceau de glace, l'immobilisait, durcissait sa fluidité, lefaisait geler tout entier; et Swann s'était senti soudain rempli d'une masse énorme et infrangible qui pesait surles parois intérieures de son être jusqu'à le faire éclater: c'est qu'Odette lui avait dit, avec un regard souriant etsournois qui l'observait: "Forcheville va faire un beau voyage, à la Pentecôte.Il va en Égypte", et Swann avaitaussitôt compris que cela signifiait: "Je vais aller en Égypte à la Pentecôte avec Forcheville." Et en effet, siquelques jours après, Swann lui disait: "Voyons, à propos de ce voyage que tu m'as dit que tu ferais avecForcheville", elle répondait étourdiment: "Oui, mon petit, nous partons le 19, on t'enverra une vue desPyramides." Alors il voulait apprendre si elle était la maîtresse de Forcheville, le lui demander à elle-même.Il savait que, superstitieuse comme elle était, il y avait certains parjures qu'elle ne ferait pas et puis la crainte,qui l'avait retenu jusqu'ici, d'irriter Odette en l'interrogeant, de se faire détester d'elle, n'existait plusmaintenant qu'il avait perdu tout espoir d'en être jamais aimé.Un jour il reçut une lettre anonyme, qui lui disait qu'Odette avait été la maîtresse d'innombrables hommes(dont on lui citait quelques-uns parmi lesquels Forcheville, M [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
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.Mais il arrivait qu'en dormant, l'intention du voyage renaissait en lui, sans qu'il se rappelât que ce voyageétait impossible et elle s'y réalisait.Un jour il rêva qu'il partait pour un an; penché à la portière du wagonvers un jeune homme qui sur le quai lui disait adieu en pleurant, Swann cherchait à le convaincre de partiravec lui.Le train s'ébranlant, l'anxiété le réveilla, il se rappela qu'il ne partait pas, qu'il verrait Odette cesoir-là, le lendemain et presque chaque jour.Alors encore tout ému de son rêve, il bénit les circonstancesparticulières qui le rendaient indépendant, grâce auxquelles il pouvait rester près d'Odette, et aussi réussir à ceDEUXIÈME PARTIE.UN AMOUR DE SWANN 174 Du Côté de Chez Swannqu'elle lui permît de la voir quelquefois; et, récapitulant tous ces avantages: sa situation, sa fortune, dontelle avait souvent trop besoin pour ne pas reculer devant une rupture (ayant même, disait-on, unearrière-pensée de se faire épouser par lui), cette amitié de M.de Charlus, qui à vrai dire ne lui avait jamaisfait obtenir grand'chose d'Odette, mais lui donnait la douceur de sentir qu'elle entendait parler de lui d'unemanière flatteuse par cet ami commun pour qui elle avait une si grande estime et jusqu'à son intelligenceenfin, qu'il employait tout entière à combiner chaque jour une intrigue nouvelle qui rendît sa présence sinonagréable, du moins nécessaire à Odette il songea à ce qu'il serait devenu si tout cela lui avait manqué, ilsongea que s'il avait été, comme tant d'autres, pauvre, humble, dénué, obligé d'accepter toute besogne, ou liéà des parents, à une épouse, il aurait pu être obligé de quitter Odette, que ce rêve dont l'effroi était encore siproche aurait pu être vrai, et il se dit: "On ne connaît pas son bonheur.On n'est jamais aussi malheureuxqu'on croit." Mais il compta que cette existence durait déjà depuis plusieurs années, que tout ce qu'il pouvaitespérer c'est qu'elle durât toujours, qu'il sacrifierait ses travaux, ses plaisirs, ses amis, finalement toute sa vieà l'attente quotidienne d'un rendez-vous qui ne pouvait rien lui apporter d'heureux, et il se demanda s'il ne setrompait pas, si ce qui avait favorisé sa liaison et en avait empêché la rupture n'avait pas desservi sa destinée,si l'événement désirable, ce n'aurait pas été celui dont il se réjouissait tant qu'il n'eût eu lieu qu'en rêve: sondépart; il se dit qu'on ne connaît pas son malheur, qu'on n'est jamais si heureux qu'on croit.Quelquefois il espérait qu'elle mourrait sans souffrances dans un accident, elle qui était dehors, dans les rues,sur les routes, du matin au soir.Et comme elle revenait saine et sauve, il admirait que le corps humain fût sisouple et si fort, qu'il pût continuellement tenir en échec, déjouer tous les périls qui l'environnent (et queSwann trouvait innombrables depuis que son secret désir les avait supputés), et permît ainsi aux êtres de selivrer chaque jour et à peu près impunément à leur Suvre de mensonge, à la poursuite du plaisir.Et Swannsentait bien près de son cSur ce Mahomet II dont il aimait le portrait par Bellini et qui, ayant senti qu'il étaitdevenu amoureux fou d'une de ses femmes la poignarda afin, dit naïvement son biographe vénitien, deretrouver sa liberté d'esprit.Puis il s'indignait de ne penser ainsi qu'à soi, et les souffrances qu'il avaitéprouvées lui semblaient ne mériter aucune pitié puisque lui-même faisait si bon marché de la vie d'Odette.Ne pouvant se séparer d'elle sans retour, du moins, s'il l'avait vue sans séparations, sa douleur aurait fini pars'apaiser et peut-être son amour par s'éteindre.Et du moment qu'elle ne voulait pas quitter Paris à jamais, ileût souhaité qu'elle ne le quittât jamais.Du moins comme il savait que la seule grande absence qu'elle faisaitétait tous les ans celle d'août et septembre, il avait le loisir plusieurs mois d'avance d'en dissoudre l'idée amèredans tout le Temps à venir qu'il portait en lui par anticipation et qui, composé de jours homogènes aux joursactuels, circulait transparent et froid en son esprit où il entretenait la tristesse, mais sans lui causer de tropvives souffrances.Mais cet avenir intérieur, ce fleuve, incolore, et libre, voici qu'une seule parole d'Odettevenait l'atteindre jusqu'en Swann et, comme un morceau de glace, l'immobilisait, durcissait sa fluidité, lefaisait geler tout entier; et Swann s'était senti soudain rempli d'une masse énorme et infrangible qui pesait surles parois intérieures de son être jusqu'à le faire éclater: c'est qu'Odette lui avait dit, avec un regard souriant etsournois qui l'observait: "Forcheville va faire un beau voyage, à la Pentecôte.Il va en Égypte", et Swann avaitaussitôt compris que cela signifiait: "Je vais aller en Égypte à la Pentecôte avec Forcheville." Et en effet, siquelques jours après, Swann lui disait: "Voyons, à propos de ce voyage que tu m'as dit que tu ferais avecForcheville", elle répondait étourdiment: "Oui, mon petit, nous partons le 19, on t'enverra une vue desPyramides." Alors il voulait apprendre si elle était la maîtresse de Forcheville, le lui demander à elle-même.Il savait que, superstitieuse comme elle était, il y avait certains parjures qu'elle ne ferait pas et puis la crainte,qui l'avait retenu jusqu'ici, d'irriter Odette en l'interrogeant, de se faire détester d'elle, n'existait plusmaintenant qu'il avait perdu tout espoir d'en être jamais aimé.Un jour il reçut une lettre anonyme, qui lui disait qu'Odette avait été la maîtresse d'innombrables hommes(dont on lui citait quelques-uns parmi lesquels Forcheville, M [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]